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Immobilier hôtelier: un marché rentable et discret

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Les ventes de palaces animent la place, mais le marché du M&A dans l'hôtellerie est ailleurs. Bien moins transparent que l'immobilier de bureaux ou de commerces, il est surtout animé par les ventes de portefeuille, l'externalisation des murs et des transactions unitaires dont les acteurs font de la discrétion une religion.Enquête. Alors que débute le 64ème festival de Cannes, la Croisette s'affole sur une toute autre affaire que la Palme d'Or. L'hôtel Martinez, lieu de prédilection des stars, pourrait être mis en vente. La clause exigeant que le bâtiment reste affecté à une activité hôtelière venant d'expirer, son propriétaire, le fonds d'investissement Starwood, pourrait en effet être tenté de s'en séparer après avoir cédé, en juillet 2010, Le Lutetia pour 145 M€ au groupe israélien Arlov, puis Le Crillon pour 250 M€ cinq mois plus tard, à un membre de la famille royale d'Arabie Saoudite (lire nos articles ci-dessous). Et si l'avenir du palace historique anime les esprits autant que le tapis rouge, c'est parce que les transactions hôtelières, déjà rares, sont du domaine de l'exception sur le grand luxe (voir le tableau des deals référencés par CFnews ci-dessous). Donnant un effet loupe au marché hôtelier français, les cessions de premier plan, comme celle du Marriott sur les Champs-Elysées (photo ci-dessus) repris par le fonds souverain d'Abu Dhabi pour 265,8 M€, réalisées à prix d'or et la plupart du temps avec des acteurs du Golfe, ne sont en réalité qu'une part infime des mouvements dans ce secteur. 1,5 Md€ de transactions sur Paris En 2010, selon BNP Paribas Real Estate, l'investissement hôtelier dans l'hexagone a enregistré 1,9 Md€ de transactions (contre 8,1 Md€ dans les bureaux et 2,8 Md€ dans le commerce), dont près de 1,5 Md€ sur Paris (voir le tableau ci-contre). « Dans la capitale, sur environ 1 480 hôtels existants, seule une centaine dispose de plus de 100 chambres, souligne J ean-Marc Andréola, président et fondateur d'Imhotel, conseil en M&A dédié à ce secteur depuis plus de vingt ans. Les ventes de cinq étoiles sont une exception, celles de quatre étoiles sont plus importantes - entre deux et cinq par an - mais il y a beaucoup de demandes pour très peu de biens. Le parc hôtelier s'étant adapté aux immeubles parisiens, dans la grande majorité entre 600 et 1000 m2, on travaille sur des biens d'une capacité de 25 à 40 chambres » poursuit le professionnel très actif sur les transactions parisiennes aux cotés d'intermédiaires comme John Lang Lasalle ou Huchet Demorge. Le marché est donc ailleurs. Fourmillant d'acteurs (foncières, familles, acteurs privés, grandes chaînes ou petits gestionnaires) à la nature aussi diverse que leurs stratégies (cession ou achat de murs de murs, défiscalisation, investissement immobilier ou fonds de commerce) et leurs exigences de transparence, l'hôtellerie reste un monde obscur dans lequel la discrétion est religion. Aussi, puisque la plupart des transactions se concluent dans le plus grand secret, dans un marché qui rebondit (lire l'encadré ci-dessous), sur quels types de biens se signent les transactions, conseillés par qui et financés comment ? La relance se confirme Après une année 2009 difficile, l'hôtellerie française a clairement accompagné la reprise en 2010. Selon le dernier rapport de BNP Paribas Real Estate sur l'investissement hôtelier en France « toutes catégories confondues, le secteur enregistrait fin 2009 une baisse de 8,8 % de son RevPAR (Revenu par chambre disponible), conséquence d'une chute de son taux d'occupation de 4,8 points parallèlement à une baisse du prix moyen de 2,2 % ». Le retour progressif des clientèles étrangères et affaires a permis un réajustement progressif des prix à la hausse et dès le mois de mars 2010, les trois indicateurs de performances hôtelières étaient dans le vert. « Ainsi en 2010, grâce à la conjonction de l'amélioration du taux d'occupation (+1,6 pt) et du prix moyen (+3,8 %), le RevPAR s'établit à 56,5 € en augmentation de 6,5 % par rapport à 2009, mais reste cependant en recul par rapport à l'année record de 2008 (-3 %) », poursuit le rapport. Si la relance de l'hôtellerie s'est confirmée en 2010, elle reste cependant très inégale en fonction des catégories concernées. « L'hôtellerie haut de gamme, la plus touchée en 2009 car directement impactée par les baisses de touristes internationaux et d'affaires, affiche la meilleure progression avec une hausse de RevPAR de 10,6 % en 2010 », conclut-il. Les hôteliers dégagent du cash en vendant les murs Dans les grands acteurs de l'hôtellerie, il y a ceux qui s'intéressent à l'immobilier et ceux qui préfèrent se concentrer sur les fonds de commerce. « En France, beaucoup d'entreprises considèrent qu'être propriétaire de ses locaux est une bonne chose pour sécuriser le patrimoine. 70 % environ possèdent ainsi les biens immobiliers qu'elles occupent, à l'inverse de ce que l'on observe dans les autres pays. S'agissant des chaines hôtelières dont le métier est avant tout le service hôtelier, il y a sans doute moins de raison de conserver son immobilier ce qui explique certaines stratégies d'externalisation », commente Philippe Rosenpick, associé chez CMS BFL qui a conseillé Accor sur bon nombres d'opérations (voir la fiche et deal list du cabinet ci-dessous). Pour les grandes enseignes de gestion (Hilton, Mariott , Accor, Intercontinental ou B&B) la stratégie d'externalisation des murs (politique d' asset light) est déjà clairement engagée. Accor : 4 Md€ de murs vendus depuis 2005 Depuis 2005, Accor enchaîne les ventes de murs avec déjà 4 Md€ de transactions réalisées et encore 2 Md€ prévus d'ici 2013. Dernière opération en date, le leader français de l'hôtellerie a vendu un portefeuille de murs de 48 Novotel, Ibis et Etap Hotel pour 367 M€ au profit de Predica et Foncière des Murs (lire l'article ci-dessous). « Accor est le premier opérateur hôtelier mondial ce qui signifie que nous détenons plus de fonds de commerce et de murs que n'importe lequel de nos concurrents », explique Marc Vieilledent, Directeur Exécutif Asset Management de Accor ( photo ci-contre). Souhaitant se concentrer sur son métier d'exploitant hôtelier, le groupe coté a donc décidé de mettre en place une politique de cession en fonction du positionnement de l'actif, selon des critères tels que la localisation et le segment. Pour résumer, sur le haut de gamme (Sofitel ou Pullman), le mode de détention privilégié est le contrat de management. Sur les hôtels dans les villes Tier one (centre ville, localisation stratégique) et sur les segments Midscale et Economique, il opte de préférence pour des cessions de murs tout en gardant le fonds de commerce et met en place un bail en location variable qui dépend du chiffre d'affaires hôtelier ( Accor est le premier à l'avoir fait), s ans minimum garanti et renouvelable tous les douze ans. Enfin pour les actifs dans les localisations Tier two/ three, moins stratégiques et demandant souvent des travaux de rénovation importants, le groupe privilégie la franchise ou la cession pure. Et Accor n'est pas le seul à se séparer de son patrimoine immobilier. La chaîne d'hôtels économiques B&B vient elle aussi de signer des cessions, vendant 19 hôtels auprès de Foncière des murs pour plus de 90 M€. Louvre Hôtels, propriété du fonds Starwood, s'est, pour sa part, séparé de 33 murs d'hôtels Campanile pour 173 M€ auprès également de Foncière des murs mais associé, pour l'occasion, avec Predica (lire les articles ci-dessous). Une logique industrielle pas toujours comprise « Cela permet bien sûr de libérer du cash, dont le secteur est très consommateur puisque la réalisation d'hôtels et leur entretien demande des investissements lourds. L'immobilier n'est par ailleurs pas le métier d'un hôtelier d'autant plus que la bourse apprécie les pures players », explique Patrick Sanville, Directeur Hotels chez BNP Paribas Real Estate (photo du bas) qui conseille des institutionnels dans de nombreuses opérations. Pourtant se séparer de ses murs n'est pas toujours une stratégie bien comprise par les acteurs du marché. « Les chaînes se sont lancées dans une bataille de taux sur les contrats de gestion, leurs marges de manœuvre sont pourtant étroites, c'est une bataille à mort », commente un conseiller qui pointe l'aspect court-termiste de cette approche. Accor entend la critique mais met en avant son coeur de métier et sa l ogique industrielle. « Nous sommes un exploitant et nous devons nous concentrer sur notre savoir faire hôtelier, indique Marc Vieilledent. Notre politique de cession est une démarche à long terme pour un groupe coté visant rentabilité et moindre volatilité des résultats et elle est très différente de celle d'un acteur privé qui privilégierait la valorisation à long terme de son patrimoine. » Les institutionnels achètent un rendement avec un locataire de prestige Et peu importe la pertinence de la stratégie, les investisseurs, eux, restent très friands des portefeuilles immobiliers des hôtels. Sur les trois opérations significatives citées plus haut, on retrouve en effet chaque fois, la Foncière des Murs associée par deux fois en direct (Accor et Louvre Hotels) avec la branche assurance du Crédit Agricole, Predica, par ailleurs l'un de ses actionnaires. Des investisseurs institutionnels qui, face à leur manne de capitaux à placer, trouvent dans ces placements un très bon outil de diversification. « Dans le cas des externalisations de murs, l'appétit ne se dément pas. Les investisseurs institutionnels misent sur un flux de loyers et un rendement, couplés à une grande signature. Par exemple sur les portefeuilles d'actifs cédés par Accor, les candidats acquéreurs peuvent construire leur business plan au regard du positionnement de l'enseigne, des anticipations de chiffre d'affaires ou de ceux des exercices précédents et des programmes d'investissement à venir », explique Hugues Moreau, avocat chez Gide Loyrette Nouel (photo ci-contre), qui intervient régulièrement sur ce type de transactions et était le conseil coté acquéreur dans le cadre de la première opération de ce type financée en crédit bail et réalisée par Accor en 2009 sur un portefeuille de 159 hôtels. Un rendement dans l'hôtel plus important que dans le bureau Le rendement attendu dans l'immobilier hôtelier est bien sûr très variable avec une forte dimension liée à l'adresse, mais pour comparaison, dans les dernières ventes d'immeubles de bureaux en Ile de France comme le siège de Sony, avenue de Wagram à Paris ou encore Le Crystal Défense à Nanterre (lire les articles ci-dessous), le rendement est autour de 5,5 % à 6 % par an ; or dans l'hôtellerie, selon Patrick Sanville on peut s'attendre à 6 à 7,5 % de rendement en fonction de qualité de l'actif et de la fiabilité de ses performances. Philippe Rosenpick souligne que « dans certains cas, il peut atteindre jusqu'à 15% ». Autre argument de poids, la question de la vacance. Alors que le départ d'un locataire, peut amener à la vente forcée d'un bien comme dans le cas du Front de parc à Clichy où le départ de la FNAC a laissé vide l' immeuble à 40 % (lire l'article ci-dessous), le risque est plus faible dans l'hôtellerie avec les chaînes gestionnaires des fonds de commerce. Et l e taux d'occupation reste bien plus élevé dans les gammes économiques. Elles sont remplies à 80 % tandis que les palaces tournent plutôt sur 70 %. Le milieu de gamme a la cote « Les hôtels de luxe ne sont pas la meilleure source de rentabilité. Le plus intéressant c'est certainement l'économique », explique Philippe Rosenpick. Propriété de Starwood, le groupe d'hôtels économique Louvre Hotels (Campanile, Première Classe, Kyriad, Kyriad Prestige, Tulip Inn, Golden Tulip et Royal Tulip) est par exemple en plein sur ce créneau. La vente des murs des Campanile va en effet lui permettre de moderniser les hôtels pour surfer sur le marché du 2/3 étoiles avec des services spécifiques : Wifi, restauration, etc. «Je crois d'ailleurs que nous allons voir émerger de nouveaux produits destandardisés sur la moyenne gamme. Les concepts d'appart-hôtels vont aussi beaucoup se développer avec des services et des concepts innovants», poursuit l'avocat. Dans cette mouvance , le quatre étoiles Costes K (photo ci-contre) vient d'être cédé pour 65 M€ au groupe singapourien Ascott Limited, qui commercialise les Citadines, en vue d'être transformé justement en appartements hôtels (lire l'article ci-dessous). Un outil de défiscalisation pour les acteurs privés Mais au -delà des externalisations de portefeuilles qui secouent surtout les grands acteurs du coté de l'offre comme du coté de la demande, un marché plus opaque existe, celui des transactions unitaires d'hôtels. Bon nombre de ses transactions ne sont en effet pas publiques. Selon nos informations, sur le marché parisien, 80 % des transactions seraient conseillées par un avocat indépendant, Charly Richart. Sur ces biens, souvent la propriété d'une personne ou d'une famille, on retrouve assez peu d'opérations de séparation murs / fonds de commerce. « Posséder les deux pour les acheteurs privés correspond à une sécurisation du patrimoine. Par ailleurs la plus-value de mariage entre murs / fonds de commerce est très importante », poursuit Jean-Marc Andreola (photo ci-contre) qui vient par ailleurs de lancer la commercialisation, pour le compte d'un promoteur immobilier, d'un ancien immeuble France Télécom aux Invalides, lequel sera transformé en hôtel quatre étoiles de 76 chambres sur une base au minimum de 500 000 euros la chambre. Il n'y a cependant pas que les familles, dont le nombre est évalué à 70, qui évoluent dans ce secteur de niche. Car si, comme pour la presse ou les vignes, les hôtels pour certaines grandes fortunes peuvent avoir un aspect de « danseuse », représentant au-delà de la rentabilité un investissement de cœur, ils sont aussi un outil de défiscalisation. En effet, un hôtel est un immeuble avec un fonds de commerce, donc un outil de travail. Acheté en direct il n'est donc pas soumis à l'ISF, une dimension qui n'a pas échappé aux investisseurs privés. Transformé en PME, il peut aussi permettre de réduire son IR (lire l'encadré ci-dessous). Novaxia mélange hôtellerie et défiscalisation Le groupe immobilier et hôtelier indépendant, axé sur les problématiques patrimoniales et lancé il y a cinq ans par Joachim Azan (photo ci-contre) , a obtenu le 4 mai dernier son visa AMF pour sa PME Novaxia Hôtel Invest . Destiné au développement d'une activité hôtelière, dont la Mairie de Paris à fait son cheval de bataille et visant une levée de fonds de 2,5 M€ auprès du public, Novaxia Hôtel Invest permettra à ses souscripteurs de réduire leur ISF, mais aussi leur impôt sur le revenu (IR). La PME investira dans des hôtels nécessitant des travaux d'aménagement ou un re-positionnement en gamme. Le rendement attendu pour l'investisseur devrait être de l'ordre de 6 % à 7 % par an, net de frais de gestion. L'aval d'Oseo essentiel pour le financement Et si les disparités entre acteurs sur l'hôtellerie en font un secteur complexe à appréhender, une chose a tendance à les rapprocher, ce sont les évolutions dans le financement du secteur. « En 2009, le financement était clairement fermé, un an plus tard, les banques sont toujours sélectives mais prêtes à étudier les très bons projets », explique Patrick Sanvill e (photo ci-contre), rejoint par Jean-Marc Andréola qui explique : « l'apport en fonds propres n'a plus rien à voir avec la période pré-crise. Sur les petites transactions unitaires, alors que 30 % de cash suffisaient auparavant, aujourd'hui c'est plutôt entre 40 et 50 %, avec une participation d'Oséo qui cautionne une bonne partie des financements, et peut aller jusqu'à prendre des tickets de 50 % ». L'aval de la banque du développement des PME est en effet très important dans l'hôtellerie pour obtenir des financements. Sur les transactions plus importantes, « les exigences de fonds propres sont passées de 15%/25% en 2008 à 35%/40% en 2011 », conclut Patrick Sanville. Les trois défis pour l'hôtellerie qui pourraient provoquer des ventes à court et moyen terme En dehors des travaux de modernisation d'un parc hôtelier parisien reconnu comme vétuste, le secteur va faire face à des évolutions de normes et de réglementation qui vont bouleverser le marché. Tout d'abord, la date butoir de la conformité incendie avance. Les hôtels de catégorie cinq, c'est-à-dire de moins de 100 chambres doivent faire les modifications nécessaires pour être en accord avec les prescriptions de l'arrêté du 24 juillet 2006, avant le 4 août 2011 . « Pour certains ce sont des travaux très importants qui sont difficilement supportables au plan financier , on prévoit autour de 3 à 4.000 hôtels qui vont devoir fermer car ne pouvant assumer le coût de cette mise aux normes. C'est sans doute le prix à payer pour une hôtellerie de qualité sur le plan des normes de sécurité-incendie”, explique Christophe Blondeau, Avocat Associé, chez CMS BFL (photo ci-dessous). Et d'autres obligations se dressent devant les hôteliers. Avant juillet 2015 , ils doivent en effet doter leurs établissements d'un accès handicapé. « Des dérogations sont possibles mais globalement le coût Capex va être important », ajoute l'avocat. Enfin, le classement hôtelier est en cours d'évolution , avant juillet 2012, les exploitants doivent se déclarer auprès d'instances privées à défaut ils ne seront plus référencés. «Au départ, un nombre relativement important de petits hôtels ne rentreront pas, pour des raisons de coût principalement, dans le nouveau classement ce qui risque de nuire à la visibilité de cette offre hôtelière pour la clientèle », souligne Christophe Blondeau. Téléchargez : Tableaux des deals hôtellerie depuis janvier 2010 Lire aussi sur les transactions hôtelière de quatre et cinq étoiles : Le Costes K redevient une résidence hôtelière (11 mai 2011) Le fonds souverain d'Abu Dhabi s'offre un palace (11 avril 2011) Le Crillon affiche pavillon saoudien (23 décembre 2010) Le Lutetia vendu à un israélien (09 aout 2010) Lire aussi sur les ventes de portefeuilles: Foncière des Murs prend une chambre chez B&B (25 mars 2011) Predica et Foncière des Murs emménagent chez Campanile (02 mars 2011) M&A Accor cède les murs de 48 hôtels (24 août 2010) Lire aussi sur l'immobilier de bureaux : Le Front de Parc s'affiche comme l'anti Coeur Défense (13 mai 2011) Le Crystal Défense change de mains (27 avril 2011) AMP se loge à Paris (08 avril 2011)