
Le Normandy, au 256 rue Saint-Honoré, dans le 1er arrondissement de Paris.
Elles étaient attendues au plus tard le 14 mars. Les offres ont bien été remises auprès du Tribunal des activités économiques de Paris pour la reprise des Hôtels de Paris, l'hôtelier de la famille Machefert, placé en redressement judiciaire le 29 avril dernier et pour lequel l'administrateur judiciaire, le cabinet Abitbol & Rousselet, accompagne le plan de cession de ce groupe aux 18 établissements parisiens (outre le 5* Kube à Saint-Tropez) – dont certains détenus mus et fonds. Dans la liste figure notamment le flagship de la rue Saint-Honoré, le futur 5* Normandy Le Chantier (101 chambres et suites, et 2 appartements au dernier étage), actuellement en travaux. Figurent également la Villa Beaumarchais, 4* du 3e arrondissement qui constitue le premier établissement détenu en propre par l'hôtelier familial, ou encore le 4* Kraft Paris, qui vient d'ouvrir Porte de Versailles.
Une offre globale proposée par Invest for Futur
La seule offre globale émane d'Invest for Future, qui n'est autre que le family office du co-fondateur du groupe hôtelier Centaurus (qui fait lui-même l'objet d'une mandat de vente confié à Rothschild & Co). La lettre d'engagement d'Invest for Future se propose de reprendre les 17 établissements des Hôtels de Paris, en excluant le Kube Paris, « son emplacement ne correspondant pas à nos critères de développement ». La structuration de l’opération, qui pourrait être réalisée sous la forme d'un asset deal, « sera définie après les travaux de due diligence, qui permettront d’évaluer les aspects financiers, juridiques et opérationnels du portefeuille, précise le candidat. Notre présente lettre d’intérêt repose sur une offre indicative d’un montant symbolique de 1 €, dans l’attente de la réception des informations nécessaires à une évaluation approfondie de la valeur d’entreprise (VE) du groupe. Cette évaluation pourrait également être réalisée actif par actif, selon les éléments fournis par le management. »
Un autre candidat est prêt à se positionner sur un périmètre de plusieurs établissements : l'investisseur et hôtelier lituanien Gemini Grupe, en tandem avec Promotora Kasde (filiale de Catalonia Hotels & Resorts), conseillés par Pygmalion Capital Advisers. Ensemble, ils offrent 45 M€ pour reprendre, sur fonds propres, un total de six hôtels, Villa Beaumarchais, Villa Alessandra, Villa Lutèce Port Royal, Kraft Hôtel Paris, Pavillon Nation et le Kube Saint-Tropez. « Concernant les hôtels à Paris, l’offre de reprise est partiellement divisible de sorte que les repreneurs pourront se faire attribuer soit les cinq actifs concernés (Villa Beaumarchais, Villa Alessandra, Villa Lutèce Port Royal, Kraft Hôtel Paris, Pavillon Nation), a minima les trois actifs Villa Beaumarchais, Villa Alessandra et Villa Lutèce Port Royal », précisent-ils.
Des candidats pour le mythique Normandy
Le flagship suscite sans nul doute les convoitises de plusieurs bidders : un premier attelage, celui formé par Coreva (qui détient une partie des murs du Normandy) et Iena Gestion et Participations, se positionne sur ce 5*, en proposant un prix de cession de 33 M€, financés sur fonds propres. Les deux partenaires sont des holdings de la famille Marang, qui anime le groupe Paristory, exploitant plusieurs hôtels de luxe à Paris (Grand Powers, Grand Hôtel du Palais Royal, Plaza Tour Eiffel, Prince de Conti). Via Paristory, le tandem propose la montée en gamme du Normandy, avec un plan de 8 M€ (financé par un emprunt) pour finaliser les travaux. Leur offre est réalisée à travers une nouvelle entité en cours de création, baptisée Société Hôtelière de l’Échelle et, d'après leur plan de rentabilité, le chiffre d’affaires projeté passerait de 10,8 M€ à 11 M€ d’ici cinq ans, « avec un résultat net positif dès la deuxième année ».
L'autre candidat est Carlotta Investissement, holding familiale du groupe Briet, issue d’une lignée d’hôteliers d’Évian. Propriétaire et exploitante de quatre hôtels à Paris, il se positionne aux côtés de Foch Partners, foncière patrimoniale cotée sur Euronext, à la tête d'un patrimoine immobilier de 146 M€, sur le fonds de commerce, en offrant de payer 10 M€ sur fonds propres. Les deux repreneurs prévoient eux aussi une enveloppe d’investissement de 7,5 M€ pour financer les travaux restants et travaillent, avec leurs partenaires financiers, sur les modalités et conditions de ce financement dont le remboursement doit être étalé sur sept ans.
Bourrelier et Atypio déposent des offres
Deux candidats se proposent à la reprise de deux hôtels, pour des prix variés. La plus importante offre est celle de Bourrelier Group (ex-Bricorama), investisseur immobilier et hôtelier coté de la famille Bourrelier, qui possède déjà plusieurs établissements en France et en Europe. Il se propose de reprendre les murs et fonds de deux 4* – Villa Alessandra et Villa Beaumarchais – pour un total de 30,1 M€, via un apport en fonds propres et crédit bancaire. Le second candidat à se positionner sur deux établissements est Atypio Invest. Soutenu par Eternam et Montefiore, il s'offre de reprendre le 3* Pavillon Opéra Grands Boulevards (28 chambres, Paris 9) pour 100 000 €, ainsi que le 3* Villa Royale Montsouris (36 chambres, Paris 14), sans préciser de montant. Son objectif : faire monter en gamme ces deux établissements sous l'enseigne Atypio.
La Dépendance, autre actif prisé
Le 4* La Dépendance, du 20 rue Molière, dans le 1er arrondissement (29 chambres), fait à lui seul l'objet de plusieurs offres. Avec le soutien financier d'Hestia IM (Emmanuel Schreder et Claude Cayla), FJ Hospitality, entité de Jean de Moustier et Florian Crouzat, gérant de 3 et 4*, notamment à Angers, en propose ainsi environ 10 M€ pour les murs et fonds. Mehdi Abdelhedi, gérant de César Etoile (exploitant du restaurant du 12 Wagram à Paris), offre lui de reprendre les murs et fonds de cet établissement pour 4 M€ full equity. D'autres ne se positionnent que sur le fonds de commerce de La Dépendance, à l'exemple d'Envergures, holding de la famille Redjal, qui détient et exploite divers actifs hôteliers situés à Paris et en Île-de-France (comme l'Elysées Hôtel à Paris 8 ou le Saint-Pierre à Paris 6). La famille valorise ce fonds 8 M€, tout en se positionnant aussi sur le 4* Villa Royale Pigalle (31/32 chambres, Paris 9) pour 4 M€.
Des lettres d'engagement de privés
Plusieurs privés ont également remis des offres comme l'hôtelier Sofiane Bousselat, directeur du Grand Hôtel Paris Clichy, qui travaille à reprendre le fonds de commerce du 3* Villa Royale Montsouris (36 chambres, Paris 14), pour 2,2 M€ net. Un autre se positionne uniquement sur le fonds du Pavillon Opéra Grands Boulevards pour 800 000 € HD, sur fonds propres. Un consortium formé par Jean-Jacques Branger, Bernard Hennet et Jeremy Mezadorian, espère lui reprendre les actifs et les activités du Kube Saint-Tropez, bien immobilier actuellement sous crédit-bail immobilier, pour 500 000 €. Quant à la Compagnie mobilière de gestion de participations (Michel Guyomard), qui opère le 5* Dupond-Smith (rue des Guillemites, Paris 4), elle offre pour les actifs incorporels du Palace Marrakech (256 Saint-Honoré, Paris 1) très exactement 200 001 €.
Des difficultés, avant même la pandémie
Dirigé par Kevin Machefert depuis 2022, le groupe Machefert a été créé en 1992 par ses parents, Patrick Machefert et Christiane Derory. 2001 signe l'entrée en Bourse des Hôtels de Paris, « amorçant une croissance rapide et élargissant son portefeuille à une vingtaine d’établissements », comme la famille le rappelle sur son site. En 2007, elle s'internationalise avec l’ouverture du Kube Saint-Tropez et du Murano Resort Marrakech. Mais avant même que la pandémie n'engage le monde dans un cycle économique complexe et incertain, l'hôtelier se retrouve confronté à des difficultés financières, faute de rentabilité suffisante et en raison de dettes importantes. La désintermédiation de la distribution hôtelière, les attentats 2015, les attentats 2016, le mouvement des gilets jaunes, la crise sanitaire du Covid, puis la guerre en Ukraine, plombent année après année les résultats du groupe, dont le principal créancier depuis 2016 était ColCity, une structure ad hoc du fonds américain Colony Capital. En 2016 et 2018, des dettes, d'un montant total de 77,8 M€, sont contractées auprès de ce fonds de dette, « à des taux d'intérêts très importants. Il était initialement prévu que ce prêt soit refinancé par un emprunt bancaire classique aux conditions plus souples et moins coûteuses, que la société a sollicité en 2020, rappelle Kevin Machefert. Mais, la crise sanitaire du Covid a mis un terme au roadshow de refinancement qui s'annonçait pourtant prometteur au vu des premières propositions commerciales reçues avant mars 2020 ».
Son principal créancier, Colony, cède à Fortress
Au second semestre 2021, le fonds de dette Colony Capital décide de céder sa créance au hedge fund californien Fortress Credit Advisors. « Consécutivement à cette cession, le Groupe Machefert a observé un durcissement des conditions de remboursement de sa dette, rappelle Kevin Machefert. Pour cette raison, le 18 mars 2022, le conseil d'administration a décidé de solliciter l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, lui permettant de renégocier les conditions de restructuration de sa dette envers son principal créancier. » Dès qu'il est nommé CEO, Kevin Machefert engage le plan triennal Réputation, visant à repositionner le groupe, avec encore l'ambition de rester l'un des plus importants opérateurs de boutiques-hôtels en France. Ce plan incluait notamment l'injection de nombreux capex dans les établissements, parmi lesquels le Normandy, tout en assurant la reprise de l'activité. En 2023, son chiffre d'affaires se redresse à 41 M€, avec une marge de 9 % d'Ebitda. Au premier semestre 2024, il ressort à 19 M€. Las. Le 29 avril dernier, un redressement judiciaire "technique" est ouvert par le Tribunal des activités économiques de Paris. « Cette procédure purement technique vise à apurer de manière accélérée l'intégralité du passif de la société, tout en préservant l'intérêt social de l'entreprise et la poursuite de son activité », expliquait alors Kevin Machefert, qui proposait un plan de continuation. D'après nos sources, l'américain King Street Capital s'est également un temps intéressé à réaliser une opération de recapitalisation, couverte par la valeur des actifs, avant de poser le crayon face à la montagne de capex à injecter pour remettre les établissements à flot.