
Le 5 Boccador, dans le 8e arrondissement de Paris.
L’information n’a pas encore totalement fuité dans le milieu du real estate français : à deux jours de Noël, un immeuble parisien détenu par Adrien Labi, via la Foncière du Triangle d’or, a fait l’objet d’une saisie et d’une mise aux enchères. L’actif en question n’est autre que le 5 Boccador, dans le 8e arrondissement, qui circule dans le patrimoine de ce mystérieux homme d’affaires depuis deux décennies. Selon des documents consultés par CFNEWS IMMO, cet édifice a été saisi à la suite d'une requête déposée par l’institution bancaire monégasque EFG Bank. L’objet du litige : un prêt hypothécaire de 30 M€ non remboursé en mai 2022. Accordée en 2004 par Hypo Real Estate à une structure domiciliée au Danemark, derrière laquelle se cache Adrien Labi, cette dette est passée entre les mains de plusieurs banques en vingt ans – jusqu'à atterrir chez EFG Bank. À ces 30 M€ jamais honorés, se greffe également un ticket d’1,6 M€, une somme correspondant aux intérêts de la dette non réglés.
Une mise à prix de 43 M€
Les potentiels repreneurs du 5 Boccador pourront visiter l’actif le 30 janvier prochain, tandis que la vente aux enchères publiques se déroulera le 6 février 2025 au tribunal judiciaire de Paris. La mise à prix de l’actif est fixée à 43 M€, quand Adrien Labi s’offrait cette adresse contre 14,78 M€ en 2004. Selon nos sources, l'homme d'affaires – récemment aperçu dans les rues de Paris – cherchait à rembourser ce prêt hypothécaire en décembre dernier. « Il a les moyens de régler cette dette à tout moment », confirme-t-on dans son entourage. Le 5 Boccador – un immeuble de 4 100 mètres carrés (très) value-add à dominante résidentielle – est constitué de deux bâtiments et s’élance sur six étages. L’actif est subdivisé en 27 appartements (3 530 m2) – dont trois en duplex et un en travaux –, un commerce (332 m2), deux boxes en cours de réhabilitation en logements et une ancienne loge de gardien d’immeuble. L’adresse héberge également un local de stockage (310 m2), deux garages et une cour. L’édifice est majoritairement vacant, quand six appartements sont loués et six autres proposés en locations saisonnières. Adrien Labi, lors de ses escapades parisiennes, logeait dans l’un des duplex du 5 Boccador.
Un actif proposé en location courte durée
Bien qu’en partie vacant, le 5 Boccador – tout comme le 1-3 de Cerisoles détenu par la Foncière du Triangle d’Or – est proposé sur le marché de la location courte durée par l’opérateur Sweett. « Ces locations de courte durée, proposées depuis des années, sont illégales : aucune demande n’a jamais été formulée auprès de la Ville de Paris, stipule l’un des visiteurs des actifs d’Adrien Labi. En outre, aucun changement de destination n’a été formulé. » Derrière la plateforme Sweet, se trouve David Zaghdoun, avec qui Adrien Labi était en affaires il y a plus ou moins sept ans. De sources concordantes, le premier avait signé une quinzaine de promesses de vente sur des actifs – dont le 5 Boccador – détenus par le second, sans qu’ils aillent jusqu’au signing final. Seul le 63 boulevard des Batignolles s’est échangé entre les deux hommes d’affaires contre une quarantaine de millions d’euros en 2017. Plusieurs professionnels du real estate interrogés par CFNEWS IMMO font état de « promesses de complaisance » à l'époque pour faire patienter les banques prêteuses d’Adrien Labi et proroger le délai d’une ou plusieurs de ses dettes.
Que lui reste-t-il en patrimoine ?
Si, en 2023, Adrien Labi s’est délesté à très bon prix des 35 Montaigne (Kering, 1,032 Md€ TTC) et 19 François 1er (LVMH, 150 M€ HT), que lui reste-t-il dans la pierre parisienne à laquelle il est exposé depuis le début des années 2000 ? Parmi ce patrimoine – qui, à son apogée culminait à plus de 70 000 mètres carrés (≃ 40 lignes) – l’homme d’affaires sulfureux détient, outre le numéro 5, les 3, 7 et 9 de la rue Boccador. L’ensemble de ces quatre actifs rincés, reconnaissables grâce aux banderoles verticales de la Foncière du Triangle d’or, représentent plus de 13 000 mètres carrés (principalement du résidentiel), sachant qu’ils étaient adressés sous le manteau pour 240 M€ en 2019, avant d’être estimés à 290 M€ quatre ans plus tard. « Depuis, le repricing est passé par là », relate un broker. Pour poursuivre le jeu de piste du patrimoine d’Adrien Labi, il faut se rendre aux 48-50 Pierre Charron et aux 1-3 de Cerisoles (6 300 mètres carrés valorisés 180 M€). Dans l’épicentre du QCA parisien, le Monopoly de la Foncière du Triangle d’Or intègre aussi la case du 63 avenue Champs-Élysées (6 300 m2) – dont Adrien Labi détient 47 % valorisés près de 110 M€. Quittons le sacro-saint Triangle d’Or pour rejoindre le 5 rue Constantine. Face à l’esplanade des Invalides, dans le 7e arrondissement, l’homme d’affaires a mis la main, en 2015, sur l’ancien centre culturel canadien (2 140 m2). Le britannique possède également quelques centaines de mètres carrés de bureaux au 18 bis rue d’Anjou, ainsi qu'un triplex basé au 5 avenue de Bousquet. De sources concordantes, des discussions et visites ont eu lieu ces derniers sur les actifs de Constantine et Bousquet, sans qu'elles se traduisent par des transactions.
Pas de deal avec les qataris sur Trémoille
Ces deux dernières années, le marché s'est fait l'écho de négociations menées par Adrien Labi himself avec des qataris proches de la famille régnante, pour leur rétrocéder les 26, 28 et 30 Trémoille, ainsi que les 8,10, et 12-14 Clément Marot, un ensemble d'immeubles résidentiels value-add totalisant 12 000 mètres carrés basés à deux pas de l’avenue Montaigne. À noter : le 3 rue Trémoille (1 500 m2), que la Foncière du Triangle d’Or de Paris détient, n’intégrait pas les discussions de ce portefeuille. Le jeu de négociations a capoté : les investisseurs du middle-east en proposaient 220 M€, quand Adrien Labi espérait vendre cet ensemble aux alentours de... 300 M€.
Le 61 Marceau sous promesse
Adrien Labi parvient quand même à vendre certains de ses biens. Selon nos informations, l'homme d'affaires a signé une promesse de vente en vue de céder un lot de 600 mètres carrés au 61 Marceau – un actif détenu en copropriété dans le 16e arrondissement – avec Foncière Réaumur, pour le compte d'un privé fortuné. La réitération est attendue dans les deux prochains mois, tandis que le montant oscille entre 6 et 8 M€ pour cette surface résidentielle vacante et value-add. De sources concordantes, EFG Bank a lancé une procédure similaire au 5 Boccador sur cet actif à l'encontre de la Foncière du Triangle d'or, mais nul ne sait s'il sera saisi et proposé aux enchères. « La vente orchestrée au profit de Foncière Réaumur peut-elle se conclure sans l'accord de la banque monégasque ? », s'interroge un professionnel.
Plusieurs immeubles pastillés
Si Adrien a obtenu, pour plusieurs de ses immeubles, des permis de construire qu’il n’a jamais appliqué, il a surtout des épines de taille dans son patrimoine : le pastillage par la Ville de Paris des 12-14 Clément Marot, 7 et 9 Boccador, ainsi que le 1-3 Cerisoles, dans le 8e arrondissement, dans le cadre du PLU ''bioclimatique''. De fait, ces actifs devront intégrer une quote-part de logements sociaux dans le cadre d’une réhabilitation lourde, ce qui impacte forcément leur prix de sortie. « Malgré ses déboires judiciaires, il n’a pas cédé au montant qu’il envisageait, rapporte un asset manager parisien. Réputé pour vendre ses bijoux de famille au prix fort, le fantôme du Triangle d’Or a récemment fini par baisser ses prix sur certains de ses immeubles. »
Les saisies record confirmées sur son patrimoine
Depuis 2014, Adrien Labi est dans le viseur de l'administration fiscale, qui le soupçonne de fraude. En 2015, le Parquet national financier (PNF) a été saisi d'une enquête à ce sujet, confiée depuis à l’Office anticorruption (Oclciff). Cette dernière pointe un défaut de paiement de plusieurs impôts : revenu, ISF, et plus récemment l'IFI, en lien avec la Foncière du Triangle d'Or, sa structure domiciliée au Danemark. En mars 2023, à l'issue du closing de la vente du 35 Montaigne – repris par Kering – chez le notaire, des policiers de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ont arrêté Adrien Labi et l'ont placé en garde à vue. À l’issue de cette procédure, il a été mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment, et soumis à un contrôle judiciaire assorti d’une caution de 30 M€. Pour garantir le règlement de la dette fiscale et d’éventuelles amendes, des saisies à hauteur de 461 M€ ont été ordonnées. Ces dernières, qui proviennent notamment de la vente menée auprès de Kering, ont été confirmées par un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 19 décembre dernier. Une partie de ces fonds – soit 150 M€ – pourrait néanmoins être restituée pour permettre le paiement de l’impôt sur les sociétés dû par une de ses entreprises. Cette restitution, contestée par le PNF, est actuellement suspendue dans l’attente d’une décision de la cour d’appel. Contactée, cette dernière indique que « d'autres recours sont en effet pendants dans ce dossier concernant des ordonnances aux fins de saisie pénale de créances, toutefois, les dossiers ne sont pas encore audiencés ».